Olivier Maurel
Extraits choisis, interview donnée en mai 2012
Qu'est ce qui vous a conduit à vous intéresser à la violence éducative?
Mon enfance pendant la guerre m'a amené à m'interroger sur la violence tout au long de ma vie. C'est seulement à l'âge de près de cinquante ans que j'ai eu le sentiment d'avoir trouvé une réponse dans le livre d'Alice Miller, "C'est pour ton bien" (Aubier) où elle explique que la majorité des violences commises, qu'elles soient individuelles ou collectives, ont pour origine des violences subies, dont notamment la plus universelle des violences, celle qu'on inflige aux enfants pour les éduquer.
D'où vient la fessée, et plus largement la violence éducative dans nos sociétés ?
La fessée n'est qu'une des multiples formes de punitions corporelles. Elle était déjà pratiquée chez les Romains, à coups de bâton ou de fouet. L'usage de frapper les enfants est au moins aussi ancien que l'écriture, (mais il ne semble pas avoir été pratiqué par les chasseurs-cueilleurs, c'est-à-dire peut-être pendant les 9/l0 èmes de l'existence de l'humanité). Des proverbes sumériens et égyptiens conseillent déjà de frapper les enfants... Depuis, il n'y a malheureusement pas eu de rupture dans cette tradition qui se transmet de génération en génération. Toutefois, dans les pays européens, les punitions corporelles se sont adoucies, et elles ont même été interdites dans trente-deux pays, dont une vingtaine européens, depuis 1979, date où la Suède a été la première à voter une interdiction.
Pour vous, où commence la violence éducative, par quels gestes, paroles ou actes?
La violence éducative commence lorsque, dans une visée éducative, on ne répond pas ou on répond de façon violente aux besoins et aux comportements des enfants. Les enfants ont un besoin vital d'être traités avec bienveillance. Les frapper, c'est bafouer ce besoin. Ne pas répondre aux pleurs d'un bébé, c'est déjà une forme de violence, car les pleurs sont les seuls moyens dont dispose le bébé pour faire connaître ses besoins.
Quelle résonance pour l'enfant et l'adulte que la violence éducative ?
Si l'on entend par résonance les effets à plus ou moins long terme de la violence éducative, ils sont extrêmement nombreux. Disons, en gros, qu'ils peuvent être d'abord physiques. Sous l'effet du stress produit par les coups ou les menaces de coups, les hormones du stress qui ne peuvent pas aboutir à leur but normal (fuir ou se défendre) chez un enfant frappé par ses parents, deviennent toxiques et attaquent le système digestif et certaines parties du cerveau. D'autre part, le système immunitaire est lui aussi perturbé, toujours par l'effet du stress. Les défenses de l'organisme sont donc affaiblies, et c'est la porte ouverte à quantité de maladies. Les effets sur la santé mentale sont aussi très importants : humiliation, manque de confiance en soi, perte de l'estime de soi, risques de dépression, propension à l'alcoolisme, à la toxicomanie, tendances suicidaires... Risques de reproduire la violence au moins sur ses enfants, violence conjugale, soumission à la violence, violence sur autrui en général.
Pourquoi la violence s'est-elle inscrite et normalisée dans nos modes d'éducation ?
Essentiellement, par répétition de ce que chaque génération a subi.
Quels exemples donne la Bible en la matière, et quelles crispations cela génère-t-il aujourd'hui avec les gouvernements qui essaient de sortir de ce schéma ?
Une dizaine de proverbes bibliques recommandent de frapper les enfants. Un de ces proverbes dit : "La folie est ancrée au cœur de l'enfant, le fouet bien appliqué l'en délivre" (Proverbe, 22, 15). On y voit à la fois une accusation contre l'enfant, censé être mauvais de naissance, et la violence présentée comme un remède. Cette tradition a été reprise dans le christianisme sous la forme du péché originel, avec le même remède pratiqué tout au long de l'histoire de l 'Église et des Églises. Aujourd'hui, dans plusieurs États, ce sont souvent les Églises qui s'opposent au vote d'une loi d'interdiction, par attachement au «châtiment biblique» !
Qui frappe ses enfants aujourd'hui en France?
Les pourcentages de parents qui recourent aux punitions corporelles varient selon la façon dont les questions sont posées. Mais en général, ce sont plus de 80% des parents qui frappent leurs enfants. Mais ces punitions sont d'une violence et d'une fréquence très variables. On frappe les enfants dans tous les milieux.
Pourquoi frappe-t-on ses enfants une fois parent ? À quel processus psychologique cela répond-il ?
Dans les sociétés qui n'ont pas remis en question la violence éducative, on frappe avec la conviction de bien faire, de bien élever ses enfants. Dans un pays comme la France où, depuis près de deux siècles l'usage de frapper les enfants est remis en question par un bon nombre d'écrivains, de médecins, de psychologues, on frappe souvent parce qu'on a été soi-même frappé et qu'on ne sait pas faire autrement et on se le reproche.
A votre avis, faut-il interdire, comme en Suède, tout châtiment corporel sur les enfants pour faire avancer les choses ?
Oui, il faut interdire les punitions corporelles car sinon, on risque d'en avoir encore pour un bon siècle. Or, avec les crises qui s'annoncent, on a besoin d'adultes qui aient gardé toute leur intégrité et tout leur potentiel inné de sociabilité, que la violence éducative altère gravement.
Qu'en est-il du droit de correction que l'on entend encore aujourd'hui dans la plaidoirie de certains avocats, voire dans le discours de certains juges ?
Ce « droit de correction » n'existe pas vraiment dans la loi. Il est même en contradiction radicale avec l'article 222-13 du Code Pénal. Alors que d'après cet article, le fait que les coups soient donnés par un parent ou une personne ayant autorité est une circonstance aggravante, il devient une circonstance atténuante dans beaucoup de cas.
Enfin, où les parents qui désirent faire autrement peuvent-ils trouver de l'aide ?
Quand on a lu les livres d'Alice Miller, on peut déjà trouver en soi-même pas mal de ressources et une forte motivation pour ne plus frapper ses enfants. Mais on peut effectivement trouver de l'aide dans des associations comme l 'École des parents, ou dans des listes de discussion sur internet, comme Parents-conscients (Yahoo). Les livres de Thomas Gordon, Isabelle Filliozat et un ouvrage tout récemment traduit en français du thérapeute danois Jesper Juul : Regarde... ton enfant est compétent (Chronique sociale, avril 2012), peuvent aussi beaucoup aider les parents.